Malchance, l’avion a plus d’une heure et demie de retard.
Le vol devait décoller pour Moscou vers 9h30 mais en raison d’un premier décalage, notre appareil qui arrive de Londres n’est pas encore nettoyé, les plateaux pas encore chargés, bref, ils ne sont pas prêts et l’embarquement ne commencera pas avant 11h, pour un décollage ensuite quasi immédiat, avec des dizaines d’avions avançant à la queue leu leu sur le tarmac pour se trouver un slot favorable.
Enfin, me voici dans cet Airbus A321 en "classe éco", coincé entre deux vieilles dames bavardes très excitées à l’idée de visiter la moitié des églises de Russie en dix jours… Moscou-Saint-Pétersbourg par la route des monastères, voyage paroissial express en autocar, un groupe de grenouilles de bénitier qui piaillent avec l’accent de Tarbes et arrivent en transit en droite ligne de Lourdes (ça ne s’invente pas) dirigées par un curé dynamique. Et monsieur l’abbé a préparé un "programme d’enfer" pour le groupe qu’il supervise, ça ne va pas chômer chez les cathos…
Moi, je n’ai pas de programme trop précis, tout ça est resté un peu vague et commence juste à m’en inquiéter un peu…
On est en éco, mais quand même: la Servair m’a déjà habitué à mieux: entrée, plat, dessert, tout sur ce plateau-repas a le même goût de plastique et de nourriture aseptisée… (l'appétissante photo qui illustre n'est pas du tout ce qui nous a été servi...)
Et ce steward qui minaudait jusqu’alors avec une voix de fausset qui s’énerve abusivement quand il faut aider les p’tites chaisières du Sud Ouest à remplir les papiers pour la douane russe, dont les formulaires sont uniquement en cyrillique !
Une demi-heure pour noircir les cases d’un banal formulaire qu’on remplirait en français en trois minutes à peine. On se croirait à l’école, mes voisines louchent sur ma copie… Les Russes pourraient prévoir une version bilingue.
L’avion se pose à Cheremetiévo vers 17h locales (il y a deux heures de décalage, il n’est que 15h à Paris)… Dire qu'on devait atterrir vers 15h locale ! Et je vais encore attendre en compagnie des autres passagers dans une chaleur étouffante plus d’une heure et demie debout devant les guichets de la douane russe, qui examine chaque passeport avec minutie.
Quand vient mon tour, une grosse blonde en uniforme derrière un guichet m’examine avec défiance avant de passer mon passeport sous un scanner et de tamponner quelques formulaires supplémentaires. Visiblement une survivance bureaucratique de l’ancien régime que ce goût immodéré pour la paperasse…
Après quatre minutes et un ultime coup de tampon, la dame consent à me rendre mon passeport non sans un dernier regard que j’imagine soupçonneux. ‘Y est, je peux passer ! Les bagages sont depuis déjà un bon moment sur des tapis qui ne tournent plus en nous attendant...
C’est fini… Je suis en Union Sov…euh, en Russie !
Il y a un type avec une petite pancarte portant mon nom au milieu des dizaines de personnes qui attendent depuis près de quatre heures les passagers de ce vol… On me propose déjà des taxis à voix basse, du change au noir, mais je file derrière Sacha, qui sans un sourire (Anna m’a prévenu la veille, il ne parle pas le français) s’en retourne vers sa voiture à grandes enjambées en me laissant traîner sacs et valise, ses mains dans les poches.
Visiblement, les heures debout à m’attendre lui ont porté sur les nerfs…
J’ai nettement l’impression au bout de huit cent mètres qu’il essaye de me faire regagner Moscou à pied et je commence à cracher mes poumons en haletant comme un phoque asthmatique, quand après dix minutes de marche en silence sans un regard, on arrive auprès d’une vieille Lada crasseuse toute cabossée garée à la sortie des parkings. D’un mouvement de tête impérieux, il me fait signe d’y balancer mes affaires avant que je ne m’engouffre à l’avant à ses côtés, en nage et les pieds en sang… Putain, j’attendais pas une limousine, mais quand même… 19h déjà !
Dans les faubourgs de Moscou, embouteillage monstre… J’ouvre de grands yeux, au milieu de cette zone industrielle grise et sale d’où émergent des dizaines de panneaux publicitaires énormes, vantant les mérites du dernier portable Samsung ou de 4X4 japonais… Des affiches omniprésentes, et aussi Ikea et Auchan, on se croirait dans les environs de Garonor ou de Bobigny… La circulation est infernale, des voitures de toutes marques, avec une prédilection pour les gros véhicules tout-terrains. Jamais vu autant de Toyota Rav4, de Land Cruiser et autres Pajero au mètre carré de bitume. En tout cas plus qu’à Paris, ça c’est sûr. Portable vissé à l’oreille, le Russe conduit au klaxon, surgissant de partout avec un sens de la priorité anarchique assez déconcertant... même pour un habitué des embouteillages en Île-de-France…
Après une demi-heure sans un mot, mon aimable chauffeur commence à m’indiquer de l’index et d'un son guttural quelques rues ou monuments au moment où on passe devant.
Il me montre ainsi des immeubles, des statues, bref toutes les curiosités touristiques à mesure que l’on s’approche du centre. Je perçois quelques mots familiers et les répète phonétiquement, pour le voir acquiescer en m'entendant...
Architecturalement parlant, c’est une ville magnifique bien conforme à l’idée que je m’en faisais à travers la documentation russe accumulée pour cette Sophaletta qui est au fond le vrai motif et la raison première de ma venue ici… Bref “Bolchoï, Kremlin… Loubianka, Place Djerzinski“… Oui, de ce que j’en aperçois derrière la vitre sale de cette petite Lada, c’est sûr, je suis à Moscou !
À la galerie M'Ars à deux pas du centre ville où mon travail est exposé, et qui est le lieu du “festival“ KoMmissia, je retrouve Anna du Centre Culturel Français sur que je peux enfin mettre un visage après avoir conversé au téléphone avec elle à de nombreuses reprises. Une petite brune au regard vif, très avenante, et qui parle (mais je le savais déjà) un français absolument parfait. Accueil chaleureux, elle me montre le studio à l’étage où je vais loger pendant quelques jours, ce qui est plus plaisant que l’hôtel à tout point de vue. Elle me remet aussi une enveloppe pleine de roubles pour mes frais. Je m’installe avant de partir dix minutes plus tard en sa compagnie au restaurant… Ce soir c’est elle qui m’invite pour mon arrivée.
Un étonnant club branché sans aucune indication extérieure, un appartement communautaire recréé, où l’on accède après avoir descendu quelques marches, accueilli par les omniprésents vigiles que l’on trouve à l’entrée de tous les lieux publics… Bien entendu absolument personne ne parle anglais et encore moins français. Je me sens vaguement handicapé et me colle à Anna comme une bernique à un rocher… Le menu est en cyrillique, accroche-toi ! Là encore, pour savoir ce que je vais dîner, je m’en réfère à ma guide, qui me traduit les plats consciencieusement… Je vais faire simple: saumon fumé, petits légumes croquants en entrée puis médaillons de veau, pommes de terre et champignons, le tout délicieux et pas cher du tout par rapport aux prix pratiqués chez nous… On ne prend pas de dessert.
Anna et moi parlons beaucoup, elle me raconte sa Russie, us et coutumes, en abordant tous les sujets possibles, aussi facilement que je le ferais avec une jeune femme française. La Perestroïka est déjà vieille de 15 ans il est vrai, et l’URSS est bien loin désormais. Je me sens dans cette ville comme je le serais n’importe où en Europe, avec des jeunes gens qui sortent en bande pour faire la fête, une vie nocturne animée (et Dieu que les filles sont belles… )
Juste ce problème insoluble de barrage linguistique qui m’empêche d’aligner trois mots et l’alphabet cyrillique omniprésent mais incompréhensible pour moi.
Et hop après cet excellent dîner, retour à la galerie M'Ars pour y dormir, après cette première approche. Juste le temps de m’inquiéter de ne pas voir mon travail et mes planches traduites exposées: OK, la salle est très belle mais les murs sont encore bien vides dans l’espace dévolu aux auteurs français et l’inauguration, c’est demain jeudi, vers 19h…
Aber morgen ist auch ein tag, et je m’endors du sommeil du Juste…
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