07 mai 2011

À qui profitent les dédicaces ?

Grenoble. Alpexpo. J'avais 30 ans, j'étais jeune et plein d'insouciance et je croyais encore que ça servait à quelque chose d'utile pour ma "carrière", que d'aller passer mes samedis et dimanche loin des miens, en festival...

Commercialement parlant, je veux dire. Je ne parle pas ici du plaisir de la rencontre ou du déplacement, c'est un autre débat, et si ça ne me plaisait pas, je ne me forcerais pas à y aller, évidemment. On est libre, aucun éditeur ne force ses auteurs à aller signer, préférant de loin qu'ils travaillent sur les albums suivants plutôt que de se fatiguer à faire les beaux sur les routes en prenant de fait du retard dans la livraison des planches...

Pour éviter les malentendus, autant dire tout de suite que je fais partie des gens qui aiment aller signer leurs bouquins... Depuis 25 ans, je me suis baladé en France, Belgique et Suisse, invité de festivals en librairies pour y rencontrer des centaines de lecteurs, réalisant pour eux des milliers de dessins sur autant d'albums à mon nom... Le point d'orgue étant deux voyages formidablement instructifs, plusieurs jours invité par l'ambassade de France: Beyrouth en 1988 et à Moscou en 2006. Moments inoubliables qui effacent d'un coup les affres de la création...

Pour autant, c'est dans le fond plutôt inutile dans l'absolu. Ce n'est pas un moyen de "se faire connaître", comme croient beaucoup de gens. Au cours d'une journée, on signe quelques dizaines d'albums, souvent aux mêmes personnes de ville en ville, qui de toute façon, en bons passionnés ont souvent déjà acheté l'album.

Il faut rappeler que à l'heure actuelle, la plupart des auteurs que vous croiserez en festival ne touchent absolument rien sur les livres qu'ils vendent en signature, ayant lors de la création touché un à-valoir - étalé sur une année en moyenne pour réaliser le livre - entre 100 et 450 euros par pages selon la notoriété, somme qu'il faut rembourser à l'éditeur sur les ventes, évidemment...

Autant dire que souvent ce montant reste le seul gain du livre, en dessous d'un imposant seuil de ventes, jamais atteint. Et qu'il faut vite en faire un autre en espérant que ça finisse par marcher un jour. Je parle ici de la majorité des auteurs, il y a évidemment des têtes de série, stars de la BD et auteurs à succès avec des séries cultes qui eux vivent très bien du métier, heureusement. Pour eux.

Je ne vous parle pas de la presse... Il y a 20 ans, chaque fois que j'allais signer quelque part, il y avait à la clé une télé, une radio ou un article qui permettait de faire parler de son travail, ce qui est quand même la base du truc. Le libraire, malin et souhaitant faire l'événement autour de la venue des gens qu'il invite pouvait encore bien faire les choses... D'autant que c'est dans son intérêt avoué: il touche 30% du prix de vente hors taxe. J'en connais certains qui se sont frottés les mains après mon passage, les jours où ça a bien marché...

Vous achetez cher un livre, entre 10 et 15 euros et pensez souvent que l'auteur de l'autre côté de la table roule sur l'or, imaginant à tort qu'il prend la moitié de cette somme au moins. Mais en fait, pour lui, c'est 8% du prix HT, divisé entre scénariste et dessinateur, en plus... Et à déduire de l'à-valoir évoqué.

En clair certains livres pour lequel je n'ai pas d'à-valoir (les contrats d'avant étaient plus avantageux) rapportent 30 centimes par vente, mais la plupart étant sous le seuil de vente requises, ne servent qu'à rembourser l'éditeur... Autrement dit, faut dépoter...

C'est pour ça que pas mal de copains ne vont jamais signer, préférant de loin produire à la maison. Il y a des timides qui n'aiment pas trop le contact de la foule et ne sont pas à l'aise devant les gens. Dessiner comme ça, à main levée en quelques minutes n'est pas un exercice facile. Moi, j'aime bien. Mais ce n'est pas le cas de tout le monde. Certains souffrent, d'autres sont incroyablement à l'aise...

Pour mes dédicaces d'albums, j'ai cessé depuis des années de faire des crobards au crayon pour me lancer dans des dessins à l'encre, en direct et sans crayonné de soutien... Mon dessin a gagné en spontanéité, du coup. C'est je crois ce qui m'a apporté le plus techniquement...

Je le dois à Adamov, à côté de qui je signais à Sierre il y a des années et qui m'avait dit de le faire, alors que, tirant la langue péniblement avec mes crayons pour pondre de pauvres dessins laborieux, je m'extasiais sur son aisance au feutre et en live...

Depuis j'ai la même. Aisance.

2 commentaires:

  1. Constat amer, mais qui semble refléter la réalité de bcp d'auteurs bd, 95% dirai-je ? Pour le " à qui proffitent les dédicaces, je crois que notre collègue Terpant a évalué le sujet, déjà sur actua-BD, CAD en tribune libre : perte de temps, d'énergie, pas de revenus sur les ventes, ...
    à éviter donc !

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  2. Je ne dirais pas "à éviter", mais au moins avoir conscience des choses. Après, c'est un choix, mais il ne faut pas croire au père Noël non plus. Les dédicaces payantes, par exemple. Il y en a et tout le monde est content.

    Terpant a tout à fait raison de soulever le problème, et d'ailleurs je lui avais répondu. Qu'on ne s'y trompe pas, il y a encore moyen de passer du bon temps en signature, mais ce côté acte gratuit est parfois pesant, coûte du temps, de l'énergie et ne rapporte rien. Il faut juste le savoir, et se déplacer par plaisir en connaissance de cause.

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