11h du matin. La Place Rouge EST vide…
Seulement mon guide n’a pas les cheveux blonds de Nathalie, mais la barbiche et la casquette de Micha, le fou de BD-traducteur qui a travaillé sur les pages de Sophaletta pour l’expo.
Il a pour le CCF traduit plus de trente planches extraites de mes albums, qui puisqu'ils n'existent pas en russe seront lettrées avec le texte en cyrillique replacé dans les bulles pour que le public de Moscou puisse parfaitement lire ce que j’y raconte...
Micha est un garçon adorable aux petits soins pour moi… Venu me chercher à 10h à la Galerie, il a à cœur de me faire découvrir sa ville, puisqu’il est moscovite de naissance. Linguiste, aimant la France, un peu passéiste et conservateur, il apprécie les chansons d'Adamo et n’est pas étonné de se retrouver avec moi comme dans la chanson de Bécaud.
Moi, je suis debout devant le Kremlin…
C’est un vrai choc, me voici devant un mythe, l’endroit est tellement connu, vu et archi-vu...
Mais que je regarde en vrai, pour la première fois… Majestueux, chargé d’histoire et vraiment impressionnant ! Sur le côté, quelques touristes attendent sagement leur tour pour entrer dans le mausolée de Lénine, mais il n'y a pas grand monde. Quinze après la chute du communisme, le "p'tit père des peuples" ne fait plus recette... Et Poutine a ouvert le débat en proposant qu'on l'enterre enfin selon le rite orthodoxe. Au passage, quelle invraisemblable prouesse des embaumeurs de l'époque ! (si ce n'est pas un mannequin de cire qui a été substitué au corps du camarade Vladimir Illich Oulianov, mort je vous le rappelle en janvier 1924...) Voir le documentaire passionnant sur ce sujet: Forever Lenine, ces jours-ci sur Arte.
Anachronisme amusant: devant la grande porte reconstruite, celle-là même que les Soviétiques avaient jadis détruite pour faire passer les chars du défilé le 1er mai sur la Place Rouge, il y a un type déguisé en Mickey avec tout le costume, et la grosse tête qui aborde les enfants pour faire une photo avec eux, exactement comme à Disneyland ! Un truc vaguement surréaliste.
Micha est un type extrêmement sympathique, curieux et bavard autant que moi et nous parlons énormément pendant que nous marchons. Je fais en sa compagnie des kilomètres à pied des heures durant au point d’avoir des ampoules très rapidement. C’est un métier sédentaire, la BD… BD qu’il connaît d’ailleurs mieux que moi, il est vrai que c’est un fan. J’ai l’idée de rencontrer un dessinateur russe pour une histoire à publier en France… Il m’aidera car l’idée l’enthousiasme.
Micha ne mange jamais au restaurant et semble un peu inquiet à l’idée d’en trouver un qui me plaise… Il m’entraîne dans un resto géorgien, à nouveau en sous-sol sans la moindre indication extérieure, et là encore, agréable surprise, l'endroit est plaisant et le repas délicieux, pour un prix dérisoire. Je l’invite, du coup… (rires)
On remarche encore un bon moment, mes pieds crient grâce mais ce garçon de toute manière n’a pas son permis de conduire et encore moins de voiture. En plus je vois en marchant tellement de choses, de détails, qu’une ballade en voiture certes moins fatigante ne me permettrait pas de découvrir, que j’en veux davantage à mes chaussures et à ma piètre condition physique qu’à mon guide qui se confond en excuses et semble désolé de me voir me traîner sur les derniers kilomètres…
Nous revenons au centre d’expo… Les pages des Auteurs Français sont arrivées de l’imprimerie, mais pas encore accrochées !
Xixous, (prononcer “Kikousse“) l’organisateur semble débordé et s’en excuse à plusieurs reprises dans un anglais un peu chaotique, mais très compréhensible… Il affiche un look artiste un peu punk, avec des dreadlocks et une partie des tempes rasées, c’est un dessinateur lui-même, un peu débordé par l‘événement qu’il organise sans se départir de sa bonne humeur, d’un sourire et de son portable qui sonne sans arrêt…
Il y a dans le hall une jolie demoiselle de la presse qui m’attend pour m’interviewer. Natalia (Gilbert, si tu nous entends, on y est…) prétend parler français, mais c’est un peu juste pour aller au fond des choses. Elle me pose plein de questions, me demande mon avis sur tout et rien, mon opinion sur sa ville, son peuple, pourquoi j’ai choisi de créer une héroïne russe et je sens qu’elle préférerait me poser plein d’autres questions sans truchement..
C’est peu intime de se faire traduire chaque phrase par l’ami qui est entre nous. Elle dit qu’elle pourrait me montrer sa ville et me guider le lendemain dans Moscou. Bien sûr je gagnerais probablement au change sur le plan esthétique, mais Micha qui est parfaitement bilingue, lui, m’est infiniment plus précieux… Je ne décline néanmoins pas l’offre de Natalia (ben tiens…) et m’éclipse avec un dernier sourire.
Dès 18h, les gens commencent à affluer pour l’ouverture au public, alors qu’on accroche fébrilement mes planches que je vois en russe pour la première fois puisque la série n’est pas traduite. Ils ont bien bossé, le lettrage est très réussi et c’est amusant de voir des textes en caractères cyrilliques dans les bulles… Ainsi cette histoire écrite en français donne l’impression de se “russifier“…Pas de marché en Russie pour les BD, au désespoir des passionnés qui tentent d’ouvrir des passerelles, ce salon en est la preuve. Mais ce n’est que la cinquième année et beaucoup reste à faire…
Je rencontre Dominique, le patron du CCF, qui regagne Paris samedi, mais souhaite quand même avant son départ m’inviter à déjeuner. Rendez-vous est pris pour le lendemain, vendredi à midi.
L’expo des artistes russes est brillante et prometteuse artistiquement parlant, même si elle part un peu dans toutes les directions graphiques. Il y a des gens doués et créatifs, à l’imagination fertile. J’aime bien ce creuset de futurs talents, ça ressemble un peu à l’expo d’une fin de cycle de mon ancienne école. J’en profite pour repérer quelques jeunes gens que j’aimerais bien voir plus avant.
S’en vient le temps des discours. Le genre de truc qui ne me gêne plus, l’ayant pas mal fait. OK les regards se concentrent sur toi pendant que tu parles, mais j’aime bien… Xixous me présente à la foule qui se presse dans l’auditorium, et je prononce quelques mots en français, fidèlement traduits par Anna. J’en profite pour regretter de ne pouvoir leur parler dans leur langue et les remercie de leur accueil chaleureux. Du cousu main. Ça, je sais faire… Ensuite un cocktail assez sommaire, en fait du vin dans des packs en carton avec un robinet posés sur les tables, des gobelets en plastique et pas de petites choses salées pour accompagner. Bof. Pas top, mais vu mon aversion pour l’alcool, pas grave non plus…
Je dédicace toute une série de Sopha, les neuf albums (!) à un jeune homme passionné qui vient de les acheter. Il y en a une quarantaine dans l’espace librairie, en français... Kirill (c'est son nom) me remercie de ma disponibilité et se fait photographier avec moi. (la belle image au-dessus...)
Après une demi-heure à se presser au milieu de la foule, très vernissage et très artistes moscovites branchés, Ania et moi nous éclipsons. Comme elle me trouve sympa, elle m’invite dans un autre endroit. Elle n’est pas du tout obligée. Sa mission envers moi est terminée. J’ai touché de l’argent justement pour être autonome. Ce que je ne suis pas de fait, vu mes soucis linguistiques.
En attendant, la providentielle Anna m’amène à nouveau dans un club typique et branché où je dînerai très bien. On semble pouvoir manger à toute heure dans ce pays. Personne au restaurant ne s’étonne de vous voir débarquer n’importe quand, en milieu d’après-midi ou même très tard le soir…
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