Angoulême commence dans quelques heures pour les protagonistes du Festival et à l’heure qu’il est, les monteurs de stands s’affairent sous les chapiteaux en chantier.
Fébrilité, panique, agacement, tous ces trucs indispensables qui manquent, pas de ligne de téléphone sur le stand et impossible de joindre ce foutu opérateur supposé être là mais déjà reparti à l’autre bout de la ville… On s’arrache les cheveux et l’angoisse monte, quand on découvre que le courant ne passe pas, que de toute façon les électriciens sont partis on ne sait où, que le matériel prévu en réunion n’est pas dans les cartons au moment du déballage. Le tout sous la pluie, voire la neige.
Et ce chauffage qui attend encore pour être mis en marche un technicien forcément évaporé on ne sait où, tandis que les pauvres hôtesses frigorifiées - mais contraintes de rester pour surveiller ce qui sera leur espace de travail du jeudi au dimanche soir - claquent des dents, emmitouflées sous leurs manteaux, écharpes autour d’un nez qui commence déjà à couler et augure d’une crève d’enfer qui leur durera toute la semaine…
Bref, panique habituelle d’avant salon, comme dans toutes les manifestations de ce genre. Et comme à chaque fois, tout sera prêt à temps.
Vous le savez déjà, je vais échapper à cette agitation.... Alors du coup, un peu de nostalgie, forcément
Car pour la première fois depuis janvier 2000, je ne me baladerai pas dans les couloirs du Mercure au milieu des copains, et je ne ferai pas d’animations BD sous la tente de l’Espace Caisse d’Épargne, place du Palet en 2008, je crois.
D’ailleurs tout ça, c’est fini, on n’y verra sans doute que les planches des lauréats du concours, et rien d’autre, plus la moindre session de dessin en live et d’interviews à bâtons rompus avec des auteurs venus parler de leur travail devant le public, qui avaient tant de succès et étaient pour moi un peu la raison d’être du truc…
Forcément dommage, mais c’est comme ça. Choix stratégique d'entreprise qui ne m’appartient pas. Au départ, je ne pensais pas le faire plus d’une fois, ça a duré huit années ! Même si je doute fort qu’on m’y reverra sous les couleurs rouges et blanches de l’Écureuil, rien ne dit qu’il n’y aura pas une suite avec eux en 2009 ou les années suivantes.
Ce qui va me manquer:
- Le sourire de Nathalie Morin s’agrandissant au fil des heures une fois passée notre stressante "grosse journée du jeudi", quand la manifestation se déroule et que tout va bien. Comme à chaque fois.
- Les ronflements de l’ami Lerolle, les deux soirs où il partageait ma chambre quand le quota maxi de remplissage de l'hôtel était atteint…
- Le plaisir et les applaudissements du public, à la fin d’une interview d’auteur où l’on sent que ce dernier en a donné… Comme ce fût le cas pour Loisel, Vicomte, TaDuc, Kraehn, le Tendre, Tronchet, Servain, Algésiras, Arleston, Morvan, Buchet, Larme, Tarquin, Plessix et des dizaines d’autres potes (ou moins potes) du métier.
- les petits déjeuners amicaux en tête-à-tête très tôt le matin avec Michel Leclerc, (qui "viré" n'y sera pas non plus) ou Mourad Boudjellal dans une salle à manger enfin silencieuse et déserte par opposition au brouhaha qui régnait dans l’hôtel quelques heures plus tôt. Et ce, quatre jours durant. Quand on dit que l’avenir appartient aux gens qui se lèvent tôt et que je vois ces deux-là frais et dispos à 7 heures, quelle que soit la soirée passée, tout est clair…
(Vous noterez au passage que pour les y voir, j'y suis forcément aussi. Déduisez-en ce que vous voulez...)
- La fébrilité et le sentiment unique d’être au cœur d’un événement essentiel de ma profession. Parce que c’est le festival le plus médiatisé, celui qui fait parler les gens, et dont on me demande chaque année si j’y vais ou pas, comme on le demanderait d’un acteur pour Cannes, ne pas s’y rendre est suspect aux yeux du grand public, un peu comme si on était soudain devenu un paria "has been" en dehors du métier et laissé sur le bas-côté pendant que les autres s’empiffrent de petits-fours… Avec le regard compatissant si je réponds par la négative.
"Mon Dieu, le pauvre, il va pas à Angoulême !"
- La soirée du jeudi avec tous les jeunes lauréats du Concours BD Scolaire, les émotions de ces mômes qui en veulent et touchent un peu leur "rêve" (non je ne parle pas de moi...) avec les yeux qui brillent et les parents émus… Rafraîchissant retour en arrière sur mes propres émotions d'antan.
- La gentillesse du personnel du Mercure centre où j’avais mes quartiers cinq jours durant depuis janvier 2000.
- La soirée d'anniversaire de ma jolie co-auteure Sophie Fougère qui habite à cent mètres de l'hôtel et m'invite pourtant chaque année et à laquelle je ne peux jamais venir... Happy birthday, copine !
- Les rencontres inattendues avec des gens perdus de vue depuis des lustres… (et que d’ailleurs on ne reverra pas plus pour autant ensuite…)
Ce qui ne va PAS me manquer:
- Le temps gris et pluvieux (voire neigeux) en permanence d’une une petite ville de province triste qui tente de se faire une beauté chaque année à la même période, mais n’est pas - loin s’en faut - aussi glamour que Cannes, pour citer un autre festival. Janvier en Charente, comment lutter contre le soleil de mai dans le Midi, hein ?
- L’interminable et indigeste soirée de remise des prix au théâtre au milieu d’une foule de moutons "Aassociatifs" qui passent leur temps à critiquer la BD stupidement prétendue "commerciale", comme si les livres n’étaient pas faits pour être vendus.
- Le palmarès élitiste loin de mes envies de lecteur dont la passion remonte aux années 60.
- L’œil torve et maussade de quelques supposées (ou pire, réelles !) "sommités du métier" passant comme des zombies traînant leur peine dans les couloirs et les allées… Des gens revenus de tout, fatigués en permanence, disant à qui veut les entendre qu’ils détestent Angoulême, les festivals et tutti quanti mais qui reviennent quand même chaque année en croquer…
- Les trois kilos pris à manger au resto tous ces jours durant.
- Les projets dont on parle avec enthousiasme sur le moment et qui n’aboutissent pas une fois le soufflé retombé.
- Les gens qui boivent sans retenue et se croient obligés de vous parler tout près du visage avec l’œil flou et la voix pâteuse… Sans parler de leur haleine !
- L’odeur de clope dans l’hôtel, à l’heure d’aller dormir… Ce qui devrait ne plus être le cas, enfin.
- La fatigue au retour... Et le temps pour s'en remettre.
Quand on fait le total, c’est vite vu…
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