21 janvier 2010

Disparition d'un monstre sacré...

Jacques Martin est mort... Il avait 88 ans.

Un an pile après Claude Moliterni. Quelques jours après Tibet. Une génération qui s'éteint.

Plutôt que l'image d'un vieux monsieur presque aveugle et acariâtre qui lui collait à la peau sur les dernières années de sa vie, je préfère garder celle d'un dessinateur brillant qui fut collaborateur d'Hergé, comme on peut le voir ci-dessus, probablement dans les années 50.

Et celle d'un grand Auteur. J'ai tellement aimé Alix.

C'est en partie lui qui m'a donné envie de faire de la BD, voici plus de 40 ans, un beau jour de 68, en découvrant dans le journal Tintin les superbes pages du "tombeau étrusque"...

J'ai aussi parlé du livre de Vandooren, autre déclic.

J'habitais dans l'Est de la France quand j'étais jeune.

Et le Haut-Koenigsbourg, c'est un endroit que j'ai vu avec l'école, façon Jeanjean, bien après l'avoir découvert dans les planches d'un des premiers Lefranc...

J'y suis retourné il y a quelques mois. Impossible de n'y point penser

J'ai approché plusieurs fois le dessinateur, j'ai même failli travailler sur Alix pour lequel j'avais esquissé quelques trucs. Pas de regrets. Mais ça ne s'est pas concrétisé.

Je me souviens de lui, il y a une trentaine d'années à une convention BD - à la Villette, je crois - signant, à quelques mètres de moi, débutant: il paraphait des albums de son blond héros Gallo-Romain d'une tête d'Alix de profil, jetée au crayon vite fait, mais il faut dire qu'en ce temps-là, tous faisaient la même chose. Et causant, il passait du temps à parler avec les lecteurs face à lui. Enfin, parler de lui, surtout... Rendons à César...

Je conserve le souvenir d'un chaud festival à Nîmes dans le milieu des années 80 où je me suis retrouvé à sa table un samedi midi - repas en extérieur dans les jardins de je ne sais plus quel endroit, un cloître ? - pour déjeuner. C'était la seule tablée où il restait de la place, pas mal d'Auteurs ne l'appréciant guère l'évitaient, en raison d'une réputation d'homme à-priori assez cassant. C'est un euphémisme pour qui l'a approché.

Martin pérorait à côté des édiles dont une jeune femme qui buvait ses paroles et d'autres gens, sponsors ou invités qui ne connaissaient pas grand chose à la BD. Prudents, les gens du milieu l'avaient snobé et aucun Auteur n'avait pris place à ses côtés.

... Je me souviens qu'il nous avait accueilli (tous étaient installés et avaient entamé l'entrée, Jean-Charles et moi, en retard débarquions du train...) de façon ironique un peu méprisante en faisant bien sentir qu'il était un grand Auteur (ce qui était vrai...) et nous de jeunes débutants qui avions l'honneur de pouvoir déjeuner en sa compagnie...

Avec l'ami Kraehn, on arrivait de Périgueux et d'une homérique signature chez Coconuts... Il faudrait que je raconte... On verra.

Deux jours durant, j'avais signé juste à côté de lui, devant les Arènes, et il avait regardé du coin de l'œil mon travail, étonné de la file d'attente de lecteurs devant moi. C'était le premier Timon et j'avais du potentiel en dédicaces... Il m'avait juste complimenté sur mon "trait précis et net", puis demandé si ça m'intéresserait d'éventuellement travailler sur ses personnages, j'avais acquiescé, mais c'était très vague, et est resté sans suite. Va demander à un jeune qui croit que c'est arrivé et qu'il a une série à succès de tout lâcher pour devenir assistant d'un autre... Dans l'ombre.

Et puis, autre moment privilégié avec lui, un soir en Belgique. Nous étions un soir dans un restaurant italien, quatre à table, Martin, donc, Christophe Simon, très blond et silencieux, mon ami Francis Degré, organisateur généreux du salon du Roeulx... Et moi.

Assis juste en face du Maître... Nous étions le dimanche soir, fin du festival: la plupart des auteurs était déjà partis et seul demeuraient Martin et moi, dans le même hôtel, puisque je ne regagnais Paris que le lundi matin en voiture...

C'était en mars 99, l'année de l'expo que la ville lui consacrait, il y avait pas mal d'originaux et de nombreuses merveilles à voir dans les salons de l'hôtel de Ville.

Jacques Martin, un sacré caractère qui n'aimait rien tant que parler de lui-même ne se rappelait plus de moi et ne m'a pas posé la moindre question sur ce que je faisais (je ne sais même pas s'il a entendu que je faisais de la BD aussi...) mais nous avait raconté un tas de trucs passionnants sur Hergé, Jacobs, Tintin, Alix et autres...

Une mémorable soirée.

Au revoir, monsieur Martin... Le festival d'Angoulême qui ouvre dans quelques jours ne vous a jamais rendu l'hommage que vous méritiez.

Et maintenant, c'est un peu tard.

2 commentaires:

  1. C'est certain, le début d'année est morose pour la BD...
    J'ai rencontré J. Martin au festival de Buc en 2006 ou 2007, accompagné de Christophe Simon. La file était longue devant Simon, personne devant J. Martin, vieux bonhomme seul derrière sa table, l'air un peu ours. Et j'entendais les collectionneurs/festivaliers/chasseurs dire qu'il ne fallait surtout pas aller le voir, que c'était un vieil aigri, etc...
    Sauf que j'avais toujours en tête l'émotion suscité par la lecture du "Spectre de Carthage" plus de 25 ans avant, je suis donc aller le trouver pour lui demander une signature (il ne faisait plus que ça à cause de ses problèmes de vue). Finalement, ces 5 ou 10 minutes passées à discuter avec lui furent très sympathiques, émouvantes car on se rendait compte que le bonhomme était l'un des derniers géants de la BD.

    Que tout cela ne m'empêche pas de te souhaiter une excellente année 2010, j'espère qu'on aura l'occasion de se croiser.

    Phil.

    P.S. : Oh oui ! L'histoire de la dédicace chez Coconuts ! Encore...

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  2. Ce sont de chouettes souvenirs... Merci Philippe.

    L'histoire, tu la connais déjà.

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